Eva arrive en cheffe

Il y a des moments dans la vie d’un auditeur de musique où tout se chamboule. L’album Page Blanche d’Eva en est un. 

Nous avons tous nos convictions. On se fait une idée sur un artiste et souvent on reste sur ce ressenti. Mais parfois, il y a des artistes qui empruntent une route différente. Alors il y a ceux qui ne changent pas d’avis, restent sur le bas-côté, tout triste, et les autres qui montent dans un train forcément réjouissant.

C’est ce qui m’arrive avec Eva.

Alors aujourd’hui j’ai envie de m’adresser à ceux qui restent sur le bas-côté et leur donner un ticket gratos pour nous rejoindre.

La recette Eva Queen : pour atteindre les sommets

Comme j’ai kiffé Page Blanche, il a fallu que j’aille me faire le reste de sa discographie. Je me suis pas pris tout ça quand c’est sorti. À l’époque la jeune chanteuse vise les sommets, alors elle se pare d’attributs populaires et ça marche. Textes et direction artistique colorés, plein de concession, elle est là pour plaire à tout le monde.

Le truc quand on essaye de faire ça, c’est qu’artistiquement c’est pas fouillé. Ça manque d’un truc difficile à nommer, certains diraient d’âme mais je ne sais pas si on peut aller jusque-là.

Et ça marche. La recette est respectée à la lettre, et c’est bien réalisé. Elle ramène Lartiste, KeBlack, Naza, Franglish et Still Fresh pour asseoir son positionnement dans un genre qu’on appelait à ce moment-là pop urbaine. On est en 2019, début juillet, et le grand public se mange Eva Queen comme n’importe quelle autre pop star.

Août 2020, on sort du confinement, on a besoin de bonnes vibes. Après Queen Eva Queen délivre alors son second projet : Feed. 

Le projet s’ouvre sur une question : « Comment rebondir après un tel succès ? » La chanteuse explique qu’elle n’a jamais changé son fusil d’épaule, qu’elle reste la même et qu’elle a la recette : c’est le buzz. Elle nous cuisine cette même sauce qu’on connaît si bien.

Alors personnellement en écoutant, l’encéphalogramme reste plat. Rien de surprenant là-dedans et en même temps pour être au top des charts, il ne faut pas brusquer les gens.

Avec Feed Collector qui sort en 2021, vient le titre Cœur Noir. Aujourd’hui il cumule 55 millions de streams. La musique d’Eva culmine à son plus haut.

Qu’est-ce qu’on fait quand on a décroché la lune ?

La vie d’un artiste est rude. Il ou elle rêve des sommets, angoisse à l’idée de ne pas les atteindre. Et une fois que c’est fait ? Et bien ils se voient pris d’une angoisse encore plus terrible : la chute. Redescendre c’est encore pire que ne pas monter non ?

Alors deux choix s’offrent à l’artiste. Le premier n’est pas très audacieux, c’est le fait de reprendre ce qui a marché, et de recommencer. Après tout c’est que veux le public. Mais ce mouv, c’est aussi l’assurance de ne pas durer. C’est l’assurance de lasser les fans. C’est s’exposer à faire un simple succès statistique, puis décevoir, et périr.

Le second choix est plus audacieux. C’est le fait de revenir avec une nouvelle proposition. Faire table rase de son œuvre, repartir de zéro, d’une page blanche (vous l’avez ? )…

Et quand Eva est revenue en septembre 2023 avec Seum, personne ne l’avait vu venir. Le son est teinté d’une mélancolie inédite chez la chanteuse. Musicalement, c’est différent. Le titre prend le temps de mettre en place une ambiance loin de ce que proposait Eva auparavant.

Dans les crédits, surprise : Damso est derrière. On sait que l’artiste n’a pas peur de sortir de sa zone de confort pour composer pour les autres, je pense à Louanne, à deux reprises, à Kendji Girac aussi et Shay. Damso a l’habitude de faire de la musique pour les autres.

On retrouve aussi Saint DX, génie de la musique encore trop peu reconnu, qui en plus de sa carrière solo brillante, a produit QALF dans sa grande majorité.

Eva arrive en cheffe

Et puis le 23 février dernier, Eva sort Bottega. Comme à mon habitude, je vois son nom passer et je ne clique pas. J’ai pas entendu Seum j’ai aucune raison d’aller sur ce terrain, c’est pas le mien. Il faudra attendre quelques semaines (la honte) pour que je tombe sur une reprise acoustique du titre sur TikTok pour être complètement matrixé par le titre.

Et là je comprends. Je tombe ensuite sur les premiers visuels annonçant l’arrivée du prochain album d’Eva et je capte qu’il y a un truc en plus. Ça me parle.

C’est quoi la nouvelle D.A d’Eva ? Déjà dans le nom. On laisse tomber le « Queen » pour la simplicité et l’efficacité. Ensuite elle s’entoure autrement. Damso ne sera pas derrière que deux titres mais bien tout l’album.

Il aidera la chanteuse à trouver sa route. En interview elle explique qu’elle n’avait même plus envie de faire de la musique avant de penser à le contacter. Ce blocage c’est ce dont je parle juste au-dessus, c’est la peur de pas réussir à se réinventer, la peur de faire moins bien moins fort que les précédents projets.

À Clique, Eva explique quelque chose d’extrêmement significatif : « c’est moi qui choisis ». Avant ça, la chanteuse se laissait porter par les équipes qui l’entouraient. Désormais c’est elle qui donne la direction, c’est elle la cheffe de file.

D’Eva Queen à Eva, il y a une prise de position, la position qui appartient à la chanteuse depuis le début : celle de celle qui décide.