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Kid Cudi : portrait d’un génie créatif torturé et élevé par la lune

Portrait de Kid Cudi pour la sortie de son nouvel album Insano

A l’occasion de la sortie de son album INSANO, revenons ensemble sur la carrière extraordinaire de l’enfant lunaire, mister Kid Cudi.

Kid Cudi était en concert à Paris le 20 novembre 2022. Depuis les rangs du Zenith de La Villette, on voit qu’il a le sourire aux lèvres, qu’il s’éclate sur scène et qu’il est heureux d’être là. Alors qu’il enchaîne un à un tous ses classiques, il exprime tout son amour au public français, qu’il rencontre pour la toute première fois de sa carrière. Oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, Scott Mescudi n’avait jamais donné de concert en France en plus de dix ans de parcours artistique.

Si la salle était évidemment comble, ce phénomène est révélateur d’une chose : en France, Kid Cudi ne jouit assurément pas de la reconnaissance qu’il mérite et encore beaucoup trop de monde ne le connaissent pas suffisamment. Profitons donc de la sortie de son nouvel album, INSANO pour donner une bonne fois pour toutes un coup de projecteur sur le parcours et la vie de ce prodige de la musique qu’est monsieur Kid Cudi.

 

Il était une fois Scott Mescudi aka Kid Cudi

Kid Cudi, de son vrai nom Scott Ramon Seguro Mescudi, est né le à Cleveland dans l’Ohio. S’il est prédestiné à vivre une enfance heureuse et épanouie, un drame familial va malheureusement s’abattre sur le jeune garçon et va le traumatiser pour le reste de sa vie. Son père, Lindberg Styles Mescudi, un peintre en bâtiment, enseignant suppléant et ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale est emporté par un cancer en 1995 alors que Scott n’a que 11 ans. Pour fuir cette dure réalité, le gamin va se replier sur lui-même et vivre dans son imaginaire pour s’évader. Pour suivre les traces de son paternel, également artiste peintre à ses heures perdues, lui aussi veut devenir artiste. Seulement, c’est une autre forme d’art qui va s’imposer à lui : non pas la peinture, mais la musique.

Il commence à rapper en 2003 alors qu’il est à la fin de ses années lycée, inspiré par les vibes catchy et alternatives de The Pharcyde, Bone Thugs-n-Harmony ou encore A Tribe Called Quest. Il décide alors de déménager à New-York pour faire carrière dans la musique et va commencer à travailler chez BAPE pour joindre les deux bouts en attendant. C’est là-bas qu’il va rencontrer son futur mentor, Kanye West, pour la première fois après avoir oublié de retirer un dispositif antivol d’une veste achetée par ce dernier.

Souhaitant saisir l’opportunité, il va demander à son manager Plain Pat de lui présenter sa musique. Immédiatement séduit par sa sensibilité et sa fibre artistique novatrice, le sulfureux rappeur va sans attendre le signer sur son label GOOD Music. C’est ainsi qu’en juillet 2008, l’enfant new-yorkais de Cleveland dévoile sa première mixtape, A Kid Named Cudi et qui comprend notamment ses premiers titres cultes : « Down & Out », « Day’n Nite« , « Man on the moon (The Anthem) » ou encore « Is There Any Love ». Avec ces morceaux, on saisit d’emblée la patte musicale de Cudder : une profonde mélancolie, une sincérité touchante, des influences alternatives, et une voix rauque à nulle autre pareille. Sa signature vocale ? Le fameux humming dont l’effet ASMR n’est définitivement plus à prouver. Ses vertus apaisantes sont telle qu’on se demande encore aujourd’hui pourquoi écouter Kid Cudi n’est toujours pas remboursé par la SECU.

De la Terre à la lune

Dévoilé à plus grande échelle et mis au premier plan sur l’album 808 & Heartbreak de Kanye West (notamment avec le morceau « Welcome 2 Heartbreak »), c’est réellement avec son premier album Man on The Moon que la carrière de l’artiste va décoller. Fort de sa formule gagnante, il va propulser son art au sommet des charts. Avec ce disque, il suit les traces de Kanye West et devient l’un des premiers MCs à oser dévoiler au grand jour ses failles émotionnelles. En effet, à une époque où les tendances rap font plutôt l’éloge du matérialisme et de la superficialité, lui va préférer se concentrer sur son quotidien et parler à cœur ouvert de ses problèmes existentiels, comme la solitude, les angoisses et la dépression causée par la mort de son père. Le tout sous le prisme des songes et du rêve.

Résultat, c’est une génération entière de jeunes désabusés qui va se reconnaître dans ses lamentations. Et parmi eux, toute une frange de rappeurs en devenir qui après lui se dira : « Ce n’est plus un mal de dire que l’on ne va pas bien, ni une honte d’exprimer ses émotions ». C’est ainsi que germera dans son sillage, toute cette génération d’artistes Soundcloud ayant émergé au milieu des années 2010. D’autres MC devenus légendes de la scène rap actuelle comme Drake, Travis Scott, Kendrick Lamar, Chance the Rapper, Childish Gambino, Logic ou encore ASAP Rocky ne manqueront pas de souligner à quel point la musique de Kid Cudi a marqué leur vie et les a inspirés.

S’il apporte assurément un vent d’air frais au paysage rap, la gloire et la reconnaissance du public nouvellement acquise ne suffisent pas à le libérer de ses démons. Il a beau aider les gens à se sentir mieux, de son côté, le moral est loin d’être au beau fixe. Bien au contraire puisque son deuxième album, Man on the Moon II: The Legend of Mr. Rager  va prendre une tournure bien plus sombre et psychédélique par rapport à son prédécesseur. Son double maléfique, Mr. Rager, va carrément prendre le dessus sur lui dans la mesure où Scott va tomber massivement dans la drogue et autres substances psychotropes. Le pauvre n’ayant pas trouvé d’autres échappatoires pour se débarrasser de son spleen.

Evidemment, une telle consommation et un tel niveau d’addiction ne sont évidemment pas sans conséquence et sa santé mentale va se dégrader à vue d’oeil. A ce moment-là, Scott Mescudi lutte littéralement pour sa survie et malheureusement, pour lui, la naissance de sa fille ne suffira pas à lui faire sortir la tête de l’eau. Une fois encore, c’est la musique qui va l’aider à canaliser ses démons et à extérioriser toutes ses émotions négatives.

Indépendance et descente aux Enfers

En quête de liberté artistique et émotionnelle, Cudder va quitter les rangs de GOOD Music pour créer son propre label Wicked Awesome. Sous cette nouvelle étiquette, il souhaite se lancer dans de nouvelles expérimentations musicales. Il va d’abord former le groupe WZRD avec son ami producteur Dot da Genius et les deux hommes sortiront ensemble un album éponyme non plus orienté hip-hop, mais plutôt punk rock. Davantage inspiré par des groupes comme Electric Light Orchestra, Jimi Hendrix, Nirvana et Pink Floyd, ce projet sorti en 2012 va radicalement s’éloigner de son ADN hip-hop et aura du mal à convaincre ses fans de la première heure. Pour autant, l’album s’est tout de même classé à la troisième place du Billboard 200, en plus de se hisser au premier rang du Top Rock Albums et du Top Alternative Albums.

Toujours dans une volonté de laisser libre cours à ses élans artistiques, il va enchaîner l’année suivante avec Indicud, un album qu’il va lui-même considérer comme « sa version de The Chronic 2001 de Dr. Dre » de part l’approche artistique qu’il a eu. Sur ce disque, on retrouve quelques titres majeurs du répertoire de Kid Cudi, à l’instar de « Just What I Am », « King Wizard » ou encore « Immortal ».

Après avoir renoué avec la lune en 2014 avec l’EP Satellite Flight: The Journey to Mother Moon, Kid Cudi persistera dans son virage punk rock avec son album suivant sorti fin 2015, Speedin’ Bullet to Heaven. C’est bien triste, mais ce projet marquera une rupture entre l’artiste et son public. Pour la simple et bonne raison que si lui se plaît à tenter et explorer de nouvelles choses, ses auditeurs eux ne suivent pas et n’attendent qu’une seule chose, le retour du Kid Cudi qui les a faits tant voyager : celui de Man on The Moon.

C’en est trop pour l’artiste. Face à l’incompréhension du public cumulée au fardeau de son spleen et de ses addictions, il va sombrer plus que jamais dans la dépression. Mais loin de vouloir se laisser abattre, celui qui depuis des années grâce à sa musique n’a fait qu’aider les autres à apprivoiser leur mal-être, va décider de prendre une bonne fois pour tous ses problèmes à bras-le-corps. C’est ainsi qu’en septembre 2016, il admet pleinement ses troubles et prend la décision difficile, mais nécessaire, de se faire interner en hôpital psychiatrique, après plusieurs vagues de pulsions suicidaires.

Après une longue traversée du désert et un combat de longue haleine, l’artiste s’offre une dernière valse avec ses démons sur l’album Passion, Pain & Demons Slayin’. Grâce à cet opus aux allures d’exorcisme pour lui-même, l’ami Kid Cudi va finalement remonter la pente et voir de nouveau la lumière.

La renaissance d’un héros

S’il doit assurément sa guérison à son incroyable combativité et à une force de caractère à toute épreuve, il ne niera pas que Kanye West, son mentor d’hier, a joué un rôle décisif dans sa rédemption. Simplement parce qu’ensemble, ils vont se livrer à un exercice thérapeutique de premier ordre : faire de la musique ensemble. Car pendant que Scott lutte contre sa dépression, Kanye West de son côté est en pleine bataille contre ses troubles bipolaires. Les étoiles étant pour eux plus que jamais dans l’alignement de la lune, ils décident donc d’unir leurs forces artistiques, comme au bon vieux temps, non plus seulement pour faire plaisir au monde, mais pour mettre définitivement hors d’état de nuire leurs fantômes respectifs. C’est dans cette logique qu’ils formeront le duo Kids See Ghosts duquel naîtra le projet éponyme.

Si Kids See Ghosts a été acclamé par la critique et le public, ce n’est pas seulement pour sa justesse et ses qualités artistiques évidentes. C’est surtout parce qu’à lui seul, il témoigne une bonne fois pour toutes que la musique peut bel et bien sauver des vies. Non-content de cristalliser l’une des plus belles bromances de l’histoire du rap US, cet opus donne une formidable leçon à ceux qui luttent quotidiennement contre des problèmes de santé mentale. Pour retrouver la lumière et lâcher prise, n’ayez plus peur de laisser vos émotions s’exprimer et entourez-vous de personnes qui vous comprennent et qui vous aiment. Voilà l’enseignement qu’il nous transmet.

Après ça, ils auraient pu faire encore plus de belles choses ensemble. Malheureusement, les multiples dérapages, sorties de route et autres propos controversés tenus par Mr. West ont finalement eu raison de leur belle amitié. Dommage, mais  Kid Cudi en a vu d’autres. Et aussi douloureuse fut pour lui cette rupture, ce n’est pas ça qui l’a empêché d’avancer. Nouvellement nimbé de lumière, il semble aujourd’hui plus que jamais avoir retrouvé son aura artistique.

La preuve étant qu’enfin, après des années de spéculations, il décide de reprendre et terminer sa trilogie historique avec l’album Man on the Moon III: The Chosen. Cette fois, plus question de se laisser submerger par son double maléfique, Mr. Rager. En homme changé, Kid Cudi va l’affronter une bonne fois pour toutes. Encore mieux, il va le surclasser et sauver définitivement son âme de l’emprise toxique de son Némesis. La trilogie est définitivement terminée et tout est bien que finit bien.

Enfin presque puisque peu après, s’il s’est offert le premier single numéro 1 de sa carrière avec le morceau The Scotts, en duo avec Travis Scott, le projet commun que les deux hommes avaient prévu de sortir ensemble a malheureusement été avorté.

Mais pardonnons-lui cet acte manqué puisque le rappeur a depuis franchi un nouveau cap significatif. Nouvellement sobre et bien dans ses bottes, il a même dépassé les frontières de la musique en sortant, Entergalactic en septembre 2022, un film d’animation qu’il a écrit pour Netflix. Bien entendu, il s’est aussi occupé de la bande originale du même nom. Pour ce qui est du pitch, ce long-métrage raconte l’histoire d’un jeune artiste nommé Jabari. Doublé et incarné par Scott lui-même, ce dernier tente de trouver un équilibre entre amour et succès, après son emménagement dans l’appartement de ses rêves à New York. C’est alors qu’il va faire la connaissance et s’éprendre de sa nouvelle voisine, une photographe nommée Meadow. Mais bien entendu, vivre une histoire d’amour n’est jamais facile quand on s’appelle Kid Cudi.

De génie créatif torturé, Scott Mescudi aura mis plus d’une décennie à devenir un artiste accompli. A l’aube de la sortie de son nouvel album, INSANO, il n’a semble-t-il jamais été aussi heureux dans sa vie qu’aujourd’hui. Cela se ressent d’ailleurs à l’écoute du projet puisque sur ce dernier, Kid Cudi a élevé son niveau de rap comme jamais, comme s’il avait définitivement dompté, apprivoisé et appris pour de bon à vivre avec sa folie.

Du côté de ses fans qui vibrent depuis des années au son de ses mélodies, on ne peut que s’en réjouir. Après tout, il a plus que mérité sa rédemption. Pour quelqu’un qui a sauvé tellement d’âmes en perdition en étant lui-même au fond du trou que c’est un juste retour des choses. Merci pour tout l’ami !

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