Visages lettrés : l’ouvrage qui retrace 40 ans de rap français (interview)

Quand l’art graphique se met au service du rap, c’est pour donner “Visages lettrés” un projet que son auteur Sébastien Le Gall construit au fil du temps depuis 10 piges. L’idée, c’est de balayer les 40 ans d’Histoire du mouvement rap francophone, au travers de sublimes représentations visuelles de rappeurs.

L’auteur a développé un gimmick graphique passionnant : il dessine des visages à l’aide de la typographie. Il répète encore et encore le nom de l’artiste jusqu’à ce qu’on reconnaisse visuellement le dit artiste.

De Booba à Nessbeal en passant par La Fève, Zola et Nes, ils sont 500 à apparaître dans l’ouvrage de Sebastien Le Gall. Le designer graphique âgé de 27 ans a accepté de répondre à nos questions.

Alors, Seb, t’es designer graphique dans la vie, pourquoi ce projet autour du rap fr ?

Pourquoi le rap ? Ah oui, tu commences fort. Parce que c’est une culture de passion. Je n’écoute que ça depuis des années, je ne vis qu’autour de ça. Mon métier ne tourne qu’autour de ça.

Sébastien Le Gall, graphiste lettré

Parle-moi de comment le rap est entré dans ta vie.

Et bien le rap est arrivé avant le graphisme et toute cette histoire de typographie et d’art de la lettre. Ça date de 2007 à peu près, là où la culture graphique est arrivée cinq ou six années après. Les premiers amours, c’est des artistes comme Soprano, des textes de Sniper. Sefyu a été un gros tournant aussi pour moi. Dès que j’ai connu ça, ça m’a plus lâché. Plus du tout même. Et chaque projets que j’ai pu créer ensuite dans ma vie, entre guillemets, ont tourné autour de ça.

Et alors à quel moment tu te dis, je vais en faire mon métier ?

Alors initialement, le dessin c’était plus mon kiff perso dans ma chambre et je voulais pas forcément que ça devienne mon métier. Puis au final, je suis quand même parti dans des études de graphisme et j’ai forcément continué à lier ça au rap, comme je le faisais à la maison, dès que j’avais l’occasion. Ça s’est donc fait très naturellement.

Là, tu sors un bouquin qui s’appelle Visages lettrés, dans lequel on retrouve 500 portraits de rappeurs. Est ce que tu peux me parler de ta première rencontre ?

Ma première rencontre, c’était Blacko de Sniper. C’était en 2015 à Quimper et ça faisait suite à mon tout premier visage, dessiné deux mois auparavant.

Il y avait une séance de dédicace de prévue et quand j’ai vu l’annonce de cette séance, je me suis dit punaise, ben je peux peut-être le rencontrer. Donc j’ai dessiné pour cette occasion et j’ai pu le rencontrer. Ça été très positif, au point de donner un bel élan à ce projet.

À ce moment-là, c’était déjà un visage lettré comme on les connaît aujourd’hui ?

C’était déjà un visage lettré, bon après, forcément, j’ai évolué dans la pratique de ce type de dessin. Mais c’était déjà un portrait écrit avec des lettres, même si je ne maniait pas encore très bien tous les reliefs et le modelé des visages.

Il est présent dans le bouquin ?

Alors il est présent dans le bouquin, oui, en tout petit. Mais le portrait de Blacko qui est mis en avant au même titre que les autres artistes a été refait depuis. Parce que justement, avec ma pratique qui évolue, c’était pas lui rendre honneur que de le laisser comme tel. Et puis aussi parce qu’au début je donnais les originaux, je ne l’avais plus qu’en photo, en qualité moyenne.

À quel moment tu te dis que tout ça peut devenir un bouquin ?

C’est deux ans et demi après. J’accumule les portraits autant que les photos de rencontres et j’ai commencé à me questionner sur une idée de recueil plus que de livre. Et puis il y a eu la rencontre avec Vald qui a été importante parce qu’à cette même période où je me posais la question de faire un recueil, Vald qui met le terme “livre” pour parler du projet. Il m’a dit “mec c’est trop stylé ce que tu fais, fais-en un livre”.

Et là, en fait, ça a fait boule de neige dans ma tête et je me suis dit : “il faut faire ça !” Même si c’était pas le livre de manière aussi élaboré que ce que c’est aujourd’hui, avec du texte et une préface (de Raphael Da Cruz, ndlr), avec tout ce système d’archive et d’Histoire du mouvement rap français.

Visage lettré de Zamdane

Alors justement, à propos de textes, de graphiste à écrivain, on se dit que c’est pas forcément évident. Est ce que tu peux nous parler du processus d’écriture ?

Oui, il va être assez simple à expliquer, j’ai fait appel à Ismaël Mereghetti qui est journaliste issu du milieu rap, pour Mouv’, pour Booska-P, pour Redbull entre autres.

Je savais ce que je voulais raconter, mais il y a forcément des infos que j’aurai invisibilisées, le projet je connais tellement par cœur. Il y a des choses intéressantes qui ont été abordées grâce à lui que je n’aurais pas pu dire.

Plus concrètement, c’était un interview en fait ?

Exactement et c’est comme ça que je l’ai gardé dans le livre. Il y a ce système de questions réponses, qui est forcément coupé par l’arrivée des portraits, mais on est clairement sur un échange oui.

Pour pouvoir sortir le livre, tu as monté une campagne de financement participatif qui est désormais à 100 %. Bravo !

Merci beaucoup !

Heureusement, il reste quand même encore un peu de temps aux gens pour acheter le bouquin. La campagne n’est pas terminée. T’as même rajouté un palier, est-ce que tu peux nous en parler ?

Oui, bien sûr. Déjà, je suis très content, on vient de passer les 100 %. Pour être honnête, j’y croyais pas tellement aux 100 %. Je pensais qu’on pourrait atteindre les 50-60 % facilement. Après le 100 % n’était pas une certitude, donc je suis vraiment très content.

Et alors, pourquoi on ajoute un nouvel objectif à 150 ? Je voudrais organiser une release party. Une soirée pour célébrer la sortie du livre, accompagnée de plusieurs artistes présents dans le livre. L’organisation en tant que telle va dépendre de la somme que je vais récolter. Même si c’est petit peu importe, l’important c’est de célébrer tous ensemble.

Visage lettré de Bu$hi

J’imagine que tu as reçu pas mal de retours depuis le lancement de la campagne. Est ce qu’il y en a qui t’ont plus marqué que d’autres ?

C’est vrai, j’ai reçu énormément d’amour, de mes proches, d’inconnus, mais aussi d’artistes concernés, ça fait vraiment quelque chose.Il faut savoir que j’ai fait le lancement sur scène au Demi Festival. Le faire en vrai, c’est quelque chose de palpable, c’était vraiment incroyable d’être devant ce public. Le Demi Festival est hyper significatif pour moi puisque chaque année j’y vais pour remettre des portraits.

Là, ce qui va se passer, c’est que tu vas imprimer les bouquins, recevoir des palettes et les vendre. Une fois que c’est fait tout ça, c’est quoi la prochaine étape ? Est ce que tu vas continuer à faire des visages lettrés ?

C’est pas prévu. Je dessine comme ça depuis 10 ans, j’arrive au bout de cette boulimie de vouloir créer comme ça. Qu’est ce qui se passe après ? J’avoue que je suis encore en réflexion. J’’y pense depuis un an, depuis que j’ai plus trop à réfléchir sur le contenu, sur les portraits. Je sais que j’ai envie de faire des expositions liées entre calligraphie et texte, plus que représenter des visages, mais je sais pas du tout dans quelle mesure ça pourrait se passer, quelle tronche ça pourrait avoir.

Visage Lettrés avec La Fève

Une petite dernière question bonus, sur les 500 artistes, c’est qui le plus sympa ?

(rire) Le souci de cette question, c’est qu’il y a plusieurs réponses. En tout cas une de mes rencontres préférées, j’ai envie de te dire Nessbeal parce que c’était inespéré.

C’est l’un des premiers concerts que j’ai vu dans ma vie. C’est l’un des artistes que je pense avoir le plus écouté aussi. Au moment où je commence ce projet, lui il est plus dans le game depuis 7 ou 8 ans. Je me fais une raison, et j’intègre le fait que l’artiste que je préfère ne sera pas dans le livre.

Sauf qu’il revient en 2022, impossible de passer à côté de l’occasion. Je raconte les détails de la rencontre dans le livre, mais j’ai réussi à le rencontrer en me pointant à sa release party, et lui donner son visage lettré, quel kiff.

Visage lettré de Nessbeal