Avec The College Dropout de Kanye West, le rap est devenu mainstream
Pour célébrer les 50 ans du hip-hop, on revient sur les albums de rap légendaires qui ont forgé son histoire. Aujourd’hui : The College Dropout de Kanye West.
Kanye West est un génie musical, c’est indéniable. Pour autant, ces dernières années, le rappeur de Chicago nous en a fait voir de toutes les couleurs. Entre ses choix artistiques douteux, son égocentrisme maladif, son soutien à Donald Trump, ses propos racistes et antisémites, sa masculinité toxique envers son ex-femme Kim Kardashian, ses prises de parole polémiques et toutes ses autres frasques lunaires dues à des problèmes avérés de santé mentale, on peut le dire : qu’il est difficile d’être fan de Ye en 2023.
Pour autant, c’estles 50 ans du hip-hop et on ne peut nier que Mister West fait incontestablement partie des grands noms de cette culture, aussi bien en tant que rappeur que producteur. D’ailleurs, avec ces deux casquettes, il nous a offert l’un des plus beaux triptyque musical que le rap ait connu : sa trilogie universitaire composée des albums The CollegeDropout, LateRegistrationet Graduation. On vous en a déjà parlé au travers le prisme et le style de sa mascotte, le DropoutBear, mais aujourd’hui, puisque notre culture fête son demi-siècle, il est temps de revenir en détails sur la première pierre de ce magnifique édifice, celle sans laquelle la carrière de Kanye West n’aurait pas été la même :The CollegeDropout.
Faux départ
« Je ferai tomber les MCs du top 10 » : ces mots issus des archives de la série-documentaire Jeen-Yuhs ont été prononcés par Kanye West lui-même, en 1990 alors qu’il n’avait que 13 ans. Ses ambitions pour le rap sont déjà grandes, mais le chemin pour arriver jusqu’à la reconnaissance sera semé d’embûches. 10 ans plus tard, le jeune artiste a beau être reconnu en tant que producteur au sein du label de Jay-Z, Roc-A-Fella, il peine encore à faire-valoir ses talents de MC. La raison ? Son style de premier de la classe habillé d’un éternel polo pastel passe mal dans un rap game où la tendance est encore au rap de rue empli de testostérone. Après de multiples discussions avec les cadres de sa maison de disques, il parvient enfin à obtenir un contrat d’artiste. Il ne le sait (peut-être) pas encore, mais le jeune Yeezy s’apprête à changer le visage du rap à tout jamais.
On dit ça, mais sa vie aurait très bien pu s’arrêter pour de bon le 23 octobre 2002, lorsqu’au retour d’une session studio à LA avec son camarade Peedi Crakk, il est victime d’un grave accident de voiture. Le choc est si violent que l’artiste se retrouve bien amoché, la mâchoire brisée et dans l’incapacité de savoir s’il pourra reprendre le micro un jour. Pour Kanye, c’est juste inconcevable et pour prouver que rien ni personne ne pourra le dévier de ses objectifs, il va enregistrer le morceau « Through The Wire », alors qu’il a encore la bouche fermée par les fils. La machine est lancée et The College Dropout est définitivement mis en chantier. Après de multiples reports, l’album sortira un peu plus d’un an plus tard, le 10 février 2004.
The College Dropout, un game changer
Avec The College Dropout, Kanye West est non seulement parvenu à s’imposer définitivement en tant que rappeur, mais a surtout réussi a profondément transformer le rap et ses couleurs. À l’époque où cette musique sombrait petit à petit dans les clichés virils du gangsta rap, Yeezy est arrivé avec une proposition musicale et artistique bien loin de celle qu’on avait l’habitude d’entendre sur les ondes au début des années 2000.
En termes de rap déjà, le bougre va s’éloigner des fantasmes surexploités de la vie de rue pour proposer quelque chose de plus terre-à-terre et ancré dans le réel de la jeunesse américaine de l’époque : l’école, la famille, la détermination et la confiance en soi au quotidien et surtout la foi sont au cœur de son propos. Ces thèmes qui s’ils peuvent paraître puritains aux premiers abords, étaient finalement assez novateurs dans le rap à cette période.
Mais la plus grande force de Kanye sur cet album (et sur toutes les autres pièces de sa discographie), c’est incontestablement son savoir-faire aux machines. En tant que producteur, sa marque de fabrique, c’estles samples de soul et de jazz du passé. Mais cette fois, en plus d’échantillonner des classiques de la black music, il va ajouter à ses compositions des couches d’instruments live tels que les chœurs, la basse, le piano, la talkbox et le violon pour leur donner plus de substance et de relief . Avec cette vision avant-gardiste, Kanye a réussi l’exploit de faire sortir le rap de ses boucles brutes et répétitives pour l’amener vers quelque chose de plus musical et mélodieux.
Une fois ce constat fait, on comprend bien où Kanye West veut nous emmener avec ce premier album : il veut faire du rap résolument plus mainstream en mêlant à sa musique tous les codes de la musique pop. Tout ça pour quoi ? Pour mieux toucher le grand public bien sûr ! Le meilleur exemple de cette démarche étant le deuxième single de l’album « All Fall Down », et son sample du titre « Mystery of Iniquity » de Lauryn Hills réinterprété par la chanteuse Syleena Johnson. Si sa volonté ici était d’élargir le public rap, c’est plutôt réussi puisque l’album a tout raflé à sa sortie, a donné naissance à une nouvelle génération de rappeurs nerds et continue encore aujourd’hui de marquer la postérité.
En effet, à peine cinq mois après son arrivée dans les bacs, l’album a été certifié double disque de platine par la Recording Industry Association of America (RIAA). Plus encore, The College Dropout a reçu dix nominations aux Grammy Awards de l’année 2005. Dans ce lot de catégories, il a remporté le trophée du « meilleur album de rap » et celui de la « meilleure chanson de rap » pour « Jesus Walk ». De nos jours cité par beaucoup parmi les meilleurs albums de Kanye West, il a aussi été classé 74 eme des 500 plus grands albums de tous les temps en 2020 par le célèbre magazine Rolling Stone. Une fois qu’on a dit tout ça et quand on voit ce que le rappeur est devenu aujourd’hui, on est bien obligé de l’admettre : « I miss the old Kanye…