Le jour où Outkast a mis le sud des US sur la carte du rap
Pour célébrer les 50 ans du hip-hop, on revient sur les grands moments de son histoire légendaire, à l’instar du triomphe d’Outkast aux Source Awards de 1995.
Au milieu des années 90, les tendances rapologiques américaines sont au gangsta rap bien burné à Los Angeles et au boom bap bien crade du côté de New-York.A cette époque, la rivalité EastCoast / WestCoast fait rage et le petit monde du hip-hop n’a d’yeux que pour ces deux pôles majeurs des US. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est que dans l’ombre des titans, au sud du territoire commence à se tramer une vraie révolution musicale. Celle-ci a pour nous Outkast.
Composé des deux MC’s d’Atlanta Big Boi et Andre 3000, le groupe n’a qu’une idée en tête : mettre un coup de pied dans la fourmilière, révolutionner la culture hip-hop et envers et contre tous, mettre fin à l’hégémonie de NYC et LA en mettant ATL et le sud des Etats-Unis sur la carte du rap. Un défi de taille qu’ils porteront à bras-le-corps avec le reste de leur collectif, la DungeonFamily. “Hey Ya”, “Ms. Jackson”, “Roses”, “So Fresh, soClean”, les classiques d’Outkast sont nombreux, mais c’est bien leur premier album, lr détonnant et funky Southernplayalisticadillacmuzik qui va d’abord marquer les esprits.
Dévoilé le 26 avril 1994, cet album au titre imprononçable à première vue fait la part belle au proxénétisme et au style de vie de « player« . Rien de nouveau dans le texte, mais c’est bien dans son énergie et dans sa musicalité qu’il va se démarquer. En effet, à la formule DirtySouth classique, Big Boi et Andre 3000 vont ajouter les influences funk de Prince et Jimi Hendrix, le tout saupoudré d’éléments d’afrofuturisme psychédélique. Sur le papier, la proposition ne paye pas de mine, mais avec ce cocktail musical créatif, audacieux et d’un nouveau genre va tout simplement changer à jamais l’histoire du rap.
Outkast : « The south got something to say »
À sa sortie, l’album se classe troisième au classement Top R&B/Hip-Hop Albums et vingtième au top album US du Billboard 200. Le succès est confirmé moins d’un an plus tard, le 5 avril 1995 avec l’obtention d’un disque de platine. Quelques mois plus tard, le 03 août 1995 se tient la deuxième édition des Source Awards au Madison Square Garden de New-York. Une cérémonie restée mémorable à bien des égards, avec entre autres, le triomphe d’Outkast
Ce soir-là, la salle est pleine et la tension est palpable. Pourquoi ? Car le clivage est-ouest est à son apogée et les rivalités entre les artistes de DeathRow et Bad Boy Records sont exacerbées.« Si vous ne voulez pas que votre manager soit sur vos albums ou dans vos clips, venez chez DeathRow ! », balance P-Diddy, avant que Snoop Dogg n’ajoute , « La côte est n’a aucun amour pour Dr. Dre et Snoop Dogg et DeathRow ?», avant de se faire huer par une partie de la foule. Bref, l’ambiance sur place est délétère.
En marge de ces hostilités historiques, on trouve Outkast,alors seul groupe du sud des US nominé pour la cérémonie. Fort du succès de leur album Southernplayalisticadillacmuzik et de son single phare, « Player’s Ball », les deux compères d’Atlanta vont contre toute attente remporter le prix du Meilleur nouveau groupe de rap. À partir de là, le temps se suspend et les représentants des deux écuries rivales, médusés face à la victoire de ces deux aliens, restent sans voix. Pour la première fois de l’histoire, DeathRow et Bad Boy vont s’unir et faire front commun contre le duo gagnant. Qu’importe leurs différends, personne ne doit être capable de surpasser Bad Boy et DeathRow.Outkast l’a pourtant fait et ils ne l’ont pas volé.
Agacé par tant de huées et d’hostilité, 3 Stacks ne va pas se débiner, va prendre le micro et prononcer un discours qui restera pour toujours graver dans les mémoires :« De toute façon, c’est comme ça. Je suis fatigué par ces gars à l’esprit étriqué. Vous pouvez faire genre qu’on a sorti une démo que personne ne voulait l’écouter, mais c’est ainsi : le sud à quelque chose à dire, c’est tout ce que j’ai à dire »
S’il n’a pas eu l’audace de faire un « drop themic » après ça, il n’en fallut pas plus pour que les huées assourdissantes prennent fin et le groupe obtiendra enfin son respect. Mais le silence sera de courte durée et la suite de la soirée se déroulera dans le chaos ambiant. Heureusement, les choses auraient pu être bien pires et c’est donc pour éviter de potentiels bains de sang que les organisateurs de l’événement décident qu’il n’y aura pas de nouveau The Source Awards avant quelques années.
Il n’empêche que ce jour-là, Outkast a mis Atlanta et ses voisins du sud sur la carte. Enfin et pour la première fois, ils étaient pris au sérieux. Big Boi l’a d’ailleurs confié lui-même, ces quelques mots auront été le pont de départ de leur volonté d’aller encore plus loin :« À partir de là, toute la haine de ce moment n’a été qu’une source de motivation pour nous. Après, on s’est enfermé en studio et ce n’était plus que moi et Andre, ensemble ».
Preuve qu’ils ne s’étaient pas trompés, ensemble, ils pousseront leur délire encore plus loin et marqueront de nouveau l’histoire avec cinq albums supplémentaires. Des projets aux thèmes plus moraux, mais toujours aussi originaux et brillants :ATLiens(1996), Aquemini(1998), Stankonia(2000),Speakerboxxx/The Love Below(2003) et enfin Idlewild(2006). Plus encore, galvanisé par ce fameux « The Southgotsomething to say« , c’est toute une génération d’artistes locaux qui finira par marcher dans le sillage d’Outkast. Ceux-là même qui placeront des années plus tard la trap sur le toit du monde. Mais ça, c’est une autre histoire…