DJ Mehdi Made in France : un docu à la gloire d’un génie disparu
Véritable génie de la production rap et des musiques électroniques, le regretté DJ Mehdi a eu droit au plus magnifique des hommages avec le documentaire « DJ Mehdi : Made in France » sur Arte.
Un peu à la manière d’une confrontation Drake Vs. Kendrick Lamar, en ce moment a lieu un duel de documentaires au sommet. Littéralement avec d’un côté « Kaizen », le projet vidéo de tous les records d’Inoxtag qui relate son ascension de l’Everest et de l’autre. Sans manquer de respect au travail et à la prouesse du streameur, nous chez Rap City, on penche clairement pour le second, produit par Arte et réalisé par Thibaut de Longeville, ami de longue date de l’artiste.
En même temps, comment rester indifférent face à une telle légende la musique ? DJ Mehdi, en plus d’être l’un des pionniers du rap français, lui qui a produit des sons avant-gardistes pour la Mafia K’1 Fry, le 113 et de nombreux autres MC, était aussi un monstre sacré des musiques électroniques et de la French Touch au sein du label Ed Banger. Son aura était telle qu’il fut l’un des seuls artistes à parvenir à rassembler ces deux cultures musicales pourtant radicalement opposées. Malheureusement, le prodige s’est éteint prématurément après avoir tragiquement succombé à l’effondrement de la mezzanine de son appartement parisien le 13 septembre 2011.
C’est donc pour rendre hommage à sa personne et à tout son héritage musical que son ami Thibaut de Longeville a signé cette série-documentaire en six épisodes qui retrace la vie et le parcours extraordinaire de DJ Mehdi. Evidemment, on l’a regardé, puis adoré, et pour ceux que ce pitch n’aurait pas suffi à convertir, voilà cinq bonnes raisons pour vous convaincre d’aller binge-watcher « DJ Mehdi : Made in France » sur Arte.
Il vous fera découvrir les débuts d’Ideal J et de la Mafia K’1 Fry.
Si vous êtes un tant soit peu passionnés de rap français et de culture hip-hop, les noms d’Ideal J et de la Mafia K’1 Fry vous évoqueront forcément quelque chose.
Pour autant, connaissez-vous réellement les histoires croisées de ce groupe et ce collectif rap français mythique des années 90 ? Idéal Junior, c’est le premier groupe d’un autre monstre sacré du rap français : Kery James. Il a beau n’avoir que 13 ans en 1991, lorsqu’il fonde le groupe avec Jessy Money, Rocco, Teddy Corona et Sélim du 9.4, tout ce beau monde est déjà extrêmement sage et précoce et n’hésite pas à rapper dur sur les injustices et le racisme dont sont victimes les populations issues de l’immigration. La force du groupe est telle qu’il finit par s’associer à d’autres MC et groupes du 9-4 pour former le collectif Mafia K’y Fry. En son sein, on retrouve notamment des noms comme Intouchable (Dry, Demon One), Different Teep (Manu Key), le 113 (Rim’K, Mokobé et AP) ou encore des futurs grands noms du game comme Rohff.
Et bien devinez qui habille le rap hardcore de la Mafia K’1 Fry ? Vous l’avez deviné, c’est monsieur DJ Mehdi ! Du premier morceau d’Idéal J intitulé « La vie est brutale » à la fin du groupe en passant par leur album devenu un classique, Le Combat Continue et par le concert légendaire de la Mafia K’y Fry à l’Élysée Montmartre, rien n’est oublié. Une parenthèse hardcore incontournable de l’Histoire du rap français.
Il nous rappelle que le 113 reste un groupe légendaire du rap fr
Après le départ prématuré de Kery James de la Mafia K’1 Fry et d’Ideal J (signant à cette occasion la fin du groupe), DJ Mehdi cherche de nouveaux défis pour rebondir. Seulement voilà, le génie qu’il est est déjà en avance sur son temps et le rap game n’est malheureusement pas encore prêt à comprendre son talent. Heureusement, le 113 qui partage avec lui une volonté de se démarquer en prenant des risques va accueillir ses prods à bras ouverts. C’est ainsi que le DJ et producteur s’associe au groupe au point d’en devenir le quatrième membre officieux. Nous sommes en 1999 et ensemble, le 113 et Mehdi vont signer l’album Les Princes de la Ville.
Dire que cet album est un classique serait un euphémisme tant il a marqué le rap français à l’aube des années 2000. Dessus, on retrouve des titres historiques comme « le morceau éponyme « Les Prince de la Ville », « Ouai Gros », « Jackpotes 2000 », « Hold Up » et bien sûr l’incontournable et cultissime « Tonton du Bled » de Rim’K.
Le raz-de-marée provoqué par cet album est tel qu’après avoir été double disque d’or, il propulsera le 113 au sommet de la scène musicale française, eux qui au nez et à la barbe de toute la variet’ française rafleront deux récompenses aux Victoires de la Musique » en 2000. On parle quand même d’un groupe de banlieusards qui s’est pointé sur scène devant Michel Drucker en Peugeot 504 chargée. Allez, montez les neveux !
Il nous raconte la folle histoire d’Ed Banger Records
Après avoir connu des déboires avec la justice relatifs aux droits d’exploitation du sample de « Tonton du Bled », DJ Mehdi prend un gros coup au moral. Le revers de la médaille est si dur à encaisser qu’après quelques nouvelles collaborations avec des rappeurs, il décide progressivement de s’éloigner du rap. Bien sûr, ce n’est pas la seule raison : le producteur étant un véritable visionnaire désireux de ne jamais faire deux fois la même chose et d’explorer d’autres horizons décide d’opérer un virage à 180° vers l’électro.
C’est ainsi qu’aux côtés de Pedro Winter, l’ex-manager des Daft Punk (toujours en activité à l’époque), il va fonder ce label qui deviendra légendaire : Ed Banger Records. Nous sommes en 2003 et à ce moment-là, les auditeurs de rap sont encore pas mal monomaniaques et peu acceptent de suivre DJ Mehdi dans son nouveau délire. Qu’à cela ne tienne, il va continuer à s’exprimer et l’Histoire fera le reste ! On parle quand même du label qui a produit des artistes comme Busy P, Cassius, Justice et SebasiAn. Une armada de DJ qui grâce à leurs talents cumulés sont parvenus à propulser la French Touch 2.0 au sommet de la scène électro internationale. Au point même que Jay-Z et Kanye West parmi d’autres en utiliseront des échantillons sur leurs propres sons, notamment sur leur album commun Watch The Throne.
De son côté, DJ Mehdi entre dans une nouvelle ère et s’impose rapidement comme la star des dancefloors du monde entier grâce à sa richesse musicale, ses talents aux platines et son sourire tapageur. Quel plaisir de le voir kiffer comme un gamin lors de ces soirées électrisantes et hardcores d’une toute autre manière que celle du monde du rap.
Il contient des archives et des témoignages exceptionnels
Outre la rétrospective de ces trois ères fondatrices de sa carrière, la série documentaire Made In France, a surtout été l’occasion pour ses équipes de recueillir les témoignages de toutes celles et ceux qui ont jalonné la vie et le parcours de DJ Mehdi. Sa famille, Kery James, le 113, Rohff, les membres phares de la Mafia K’y Fry, Cassius, Pedro Winter, Justice et tant d’autres. Des témoignages précieux qui nous rappellent sans cesse à quel point le travail et la personnalité de Mehdi étaient appréciés et reconnus. Gros big Up à Mokobé par ailleurs qui signe certaines des prises de parole les plus drôles du docu, notamment lorsqu’il parle des Beatles et de la période élecro/house de Mehdi.
Outre les mots de son entourage, ce documentaire, c’est aussi l’occasion de découvrir des archives inédites sorties des tiroirs de DJ Mehdi et de ses proches. Quelle émotion d’entendre sa voix, de revoir autant d’extraits de ses nombreuses interviews et de découvrir tant de moments de vie. L’artiste avait beau être timide, quand il s’agissait de parler de sa passion pour la musique, plus rien ne l’arrêtait. Chacune de ses prises de parole est puissante, pertinente et on perçoit dans chacun de ses mots toute la sagesse, la passion et l’avant-garde qui l’animait. Oui, DJ Mehdi était un puits de connaissance musicale et on comprend aisément pourquoi il ne pouvait devenir rien d’autre qu’une légende la musique.
Mention spéciale à cette archive vidéo dans laquelle on le voit partager un moment de complicité extrêmement fort et touchant avec Diam’s en studio. Ces quelques minutes hors du temps entre les deux artistes vous feront à coup sûr frissonner, si elles ne vous mettent pas carrément la larme à l’œil.
Il vous donnera envie de (ré)écouter la musique de DJ Mehdi
Quand bien même tous les passionnés de rap, de musiques électroniques et de musique en général s’accordent depuis longtemps sur le fait que DJ Mehdi était un véritable prodige du son, il n’en demeure pas moins que son nom et son héritage musical ne sont, paradoxalement, pas si connu et reconnu que ça aux yeux du grand public. Qu’à cela ne tienne, ce documentaire est là pour vous aider à rattraper le temps perdu et raccrocher les wagons. Que vous soyez fan de rap, d’électro, et même d’aucuns de ces styles musicaux, vous ne pourrez rester insensibles au charme et au talent de DJ Mehdi. Fort de sa réalisation, de son rythme, de ses témoignages, de ses archives, de sa profondeur, de sa narration, de sa valeur historique et bien évidemment, de sa bande-son, ce documentaire est un must-watch pour quiconque souhaite élargir sa culture musicale.
Regardez-le et soyez sûrs que l’envie de se (re)plonger dans toute sa discographie. Entre les premiers sons d’Ideal J, les albums de 113, ses oeuvres solo allant de Espion le EP sorti en 2000 à Red Black & Blue en 2009, en passant par (The Story of) Espion [2002], Des friandises pour ta bouche avec Kourtrajmé (2005), Lucky Boy (2006), Lucky Boy At Night (2007), on vous assure que son oeuvre musicale regorge de trésors qui ne demandent qu’à être savourés. « Signatune », « Lucky Boy », « Pocket Piano », « Tonton du Bled », « 113 Fout la Merde », « Les princes de la ville », « Si c’était à refaire », « Despee 98 » ou encore, laissez-vous envoûter par la magie des prods de DJ Mehdi.
Avec toutes ces pépites à son actif et en dépit de son immense carrière musicale, sa disparition prématurée à l’âge de 34 ans nous laisse fatalement un goût d’inachevé. DJ Mehdi était tellement haut qu’on ne peut s’empêcher de s’imaginer jusqu’où il aurait pu aller. Jusqu’à l’infini sans doute, surtout quand on sait désormais que Thibaut de Longeville a confié dans Le Code Review que, juste avant sa mort, il était en discussion avec Jay-Z et Kanye West pour faire des nouveaux morceaux. De plus, quand on voit que Drake lui-même a partagé des extraits de la série documentaire sur ses réseaux, on peut prétendre sans trop se mouiller qu’ils auraient pu faire de belles choses ensemble. Mais comme dirait Lunatic, « pas le temps pour les regrets ». Ainsi, plutôt que de pleurer sa mort, réjouissons-nous que DJ Mehdi : Made In France réussisse si bien à célébrer sa vie.