Le duel commercial mythique entre 50 Cent et Kanye West

Pour célébrer les 50 ans du hip-hop, on revient sur les épisodes légendaires qui ont forgé son histoire. Aujourd’hui : la bataille commerciale entre 50 Cent et Kanye West.

Comme on aime vous le rappeler dans notre rubrique consacrée aux 50 ans du hip-hop, le mouvement regorge de moments charnières et grandioses. Parmi ceux à avoir forgé la légende de son histoire récente, on trouve assurément la confrontation qui opposa Kanye West à 50 Cent. Attention, pas un combat en mode octogone à la Booba et Kaaris, mais bien une guerre commerciale dans les règles de l’art.

Nous sommes le 11 septembre 2007, six ans après les attentats les plus douloureux de l’Histoire des Etats-Unis. Dans ce contexte, les Américains savaient que cette journée ne serait pas comme les autres. Elle a été d’autant plus marquante que ce jour-là sortait également deux albums majeurs du rap US, Graduation, le troisième album de Kanye West et Curtis, le troisième opus de 50 Cent. Clairement, tout était réuni pour une bataille d’anthologie.

50 Cent Vs. Kanye West, le choc des titans

A cette époque, Mr. West et Mr. Curtis Jackson figurent parmi les plus grosses superstars du rap du moment. D’un côté Fifty, le rappeur qui a survécu à neuf balles a signé Get Rich or Die Tryin‘ et The Massacre, deux classiques du gangsta rap des années dont la réputation n’est clairement plus à faire. En face de lui, l’ovni Kanye West a carrément redessiné les codes du rap mainstream en lui donnant une nouvelle touche pop, au travers des deux premières pierres de sa trilogie musicale universitaire. Vous l’aurez compris, si les deux officiaient dans des registres diamétralement opposés, ils régnaient chacun en maîtres sur leur créneau respectif. En fait, le seul point commun qu’il semble avoir à ce moment-là, c’est un ego surdimensionné de part et d’autre.

C’est ainsi que dans un pur esprit de compétition, les deux MC vont se lancer dans un face-à-face qui fera date. C’est acté, leur troisième album, Curtis pour l’un, Graduation pour l’autre, sortiront le même jour. Bien décidé à mettre le feu aux poudres, c’est 50 Cent qui lancera les hostilités en prononçant sa célèbre phrase : « Si Kanye West vend plus de disques que moi le 11 septembre, j’arrête la musique ». Le bougre ne croyait pas si bien dire…

En effet, sur le plan commercial, Kanye a très rapidement pris le dessus sur son rival. Dès le départ en fait. En témoigne le succès de leurs deux premiers singles promotionnels : « Stronger » pour l’un, « Ayo Technology » avec Justin Timberlake pour l’autre. Quand bien même les deux titres restent des pierres angulaires incontestables de leur discographie respective, « Stronger » a tout ravagé sur son passage et dans les charts. Il faut dire que face à la stratégie de Kanye qui consistait à sampler le hit planétaire des Daft Punk, « Harder, Better, Faster, Stronger », le futur producteur de Power n’avait aucune chance. Il n’arrivera d’ailleurs jamais à remonter la pente.

Résultat ? Graduation s’est écoulé à  957 000 exemplaires, devant ainsi le plus gros succès de la carrière de Yeezy à l’époque, pendant que Curtis a « seulement » cumulé un total de 691 000 ventes. C’est donc officiel et l’Histoire s’en souvient, Curtis a perdu la bataille. Ce qu’on sait moins en revanche, c’est que tout ceci n’était en fait qu’un coup marketing orchestré par Fifty lui-même…

Tout était calculé ?

En 2020, Fifty a sorti un ouvrage entre développement personnel et autobiographie intitulé Hustle Harder, Hustle Smarter (Comment réussir, échouer et tout reconstruire dans sa version traduite en français). Dans ce livre mêlant autobiographie et développement personnel, Fifty revient sur cet épisode charnière de sa carrière et révèle qu’en réalité, tout était calculé de son côté. En effet, voyant que son aura auprès du public commençait à perdre de son éclat et que son label ne soutenait pas son projet comme il l’espérait, il a préféré prendre les choses en main et construire lui-même une stratégie promotionnelle dont il savait qu’elle marquerait à coup sûr toute la planète rap. Il explique :

« Quand j’ai vu que nos dates de sorties étaient proches l’une de l’autre, j’ai réalisé que nous pouvions réaliser quelque chose d’exceptionnel, en transformant notre sortie en affrontement direct. Je lui ai donc proposé de sortir nos albums en même temps. Lui, en tant que libre-penseur, a compris la valeur de ma vision et a accepté. Il a compris que nous pourrions générer plus de buzz en hypant notre duel plutôt qu’en faisant des promos individuelles. […] Nous avons tous les deux joué le jeu à fond, en faisant des apparitions ensemble et en adoptant le rôle de deux boxeurs avant un grand combat. Pour être clair, il n’y avait pas de conflit réel entre nous. Nous nous respections mutuellement et nous étions juste deux personnes à l’aise à l’idée de se concurrencer l’une l’autre ». Il poursuit : « Notre compétition a transformé un lancement difficile pour moi (faute d’un soutien suffisant de son label Interscope) en une semaine très respectable (691 000 ventes). Si j’avais seulement laissé ma maison de disques faire ce qu’elle voulait, je n’aurais sûrement vendu que 400 000 exemplaires. Au lieu de ça, j’ai réussi à sauver une situation difficile et créer un moment historique ».

Voilà ce qu’on appelle un coup de maître ! Sa défaite actée (et visiblement anticipée), Fifty ne s’est finalement pas résigné à arrêter la musique (et heureusement), mais plutôt que de courir après sa gloire passée et voyant que son aura commençait déjà à perdre de son éclat, il a préféré capitaliser sur ses forces et réorienter sa carrière en devenant producteur de télévision et entrepreneur à succès. La chose sera sans doute difficile à admettre pour tous ceux qui ont été bercés par sa musique et attendent désespérément son retour musical, mais il s’agit sans aucun doute la décision la plus judicieuse que le rappeur ait prise de toute sa carrière. Et ce n’est pas son compte en banque qui dira le contraire.