The Death of Slim Shady : le sublime cauchemar d’Eminem
Avec The Death of Slim Shady, Eminem et son alter égo démoniaque semblent se livrer un combat titanesque aux allures de confrontation finale.
« Guess who’s back, back again? Shady’s back, tell a friend, guess who’s back, guess who’s back, guess who’s back, guess who’s back, guess who’s back, guess who’s back, guess who’s back, (Da-da-da, da, da, da, da, da, da….) Face à ce sample bien connu du classique « Without Me » en ouverture du single « Houdini« , et encore plus lorsque le clip éponyme est sorti, on a vite compris que pour son retour musical, Eminem n’allait pas se gêner pour allégrement titiller la corde nostalgique de ses fans. Eux qui depuis des années maintenant réclament un retour du rappeur à l’ancienne, avec son nouvel album The Death of Slim Shady, les voilà servis.
Dès l’ouverture de ce douzième opus, Eminem, 51 ans, surprend par sa « Renaissance » en renouant d’emblée avec les vibes qui ont fait son succès à l’apogée de sa carrière. A peine remis de cette tonitruante entrée en matière que les morceaux se suivent au rythme des flows spécifiques qu’il utilisait entre 2002 et 2005 sur ses albums The Eminem Show et Encore. Les références à ses anciens titres et leurs gimmicks pleuvent également pour le plus grand plaisir de ses auditeurs historiques. Tout ça bien sûr dans cette ambiance horrifique caractéristique des premières heures de gloire du rappeur de Détroit. Les signes avant-coureurs ne trompent pas : Slim Shady est bel et bien de retour.
Mais derrière ce fan service résolument bien dosé et savamment orchestré par Eminem et Dr. Dre, se cache en fait quelque chose de bien plus profond : un album conceptuel qu’il faut, selon les consignes strictes de son auteur, absolument écouter dans l’ordre, du premier au dernier track. Simplement parce que ce que souhaite Eminem avant tout ici, c’est nous raconter une histoire. Celle du prix de la nostalgie, qui signifie pour lui s’accorder une dernière danse macabre avec Slim Shady, son allié d’hier et ennemi d’aujourd’hui.
Eminem Vs. Slim Shady, le combat d’une vie
Les relations toxiques, le rappeur ne les connaît que trop bien : une longue bataille contre ses addictions aux drogues et autres médicaments, des rapports tumultueux avec sa mère, son père et son ex-femme Kim, voilà tout ce que Marshall Mathers a dû traverser en parallèle de sa carrière de rappeur. S’il est parvenu à se défaire de chacune de ces emprises depuis quelques années maintenant, il reste un démon avec lequel Eminem n’a finalement jamais réussi à faire la paix : l’incarnation du Mal, l’être né de toute sa rage, son alter ego démoniaque Slim Shady.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé pourtant. Car même si Em l’a enterré en 2010 avec son album Recovery le sulfureux blond peroxydé est toujours parvenu d’une manière ou d’une autre à revenir le hanter. Face à cette spirale schizophrène perpétuelle, le rappeur se devait d’agir pour mettre son double maléfique hors d’état de nuire une bonne fois pour toutes. Bien entendu, son Némésis ne va pas non plus se laisser faire compte bien tout faire pour reprendre le dessus sur son hôte.
Et puisque la fin justifie les moyens, Slim va user des stratagèmes les plus fourbes pour qu’Eminem soit victime de la « cancel culture ». Pour arriver à ses fins, il va faire ce qu’il sait faire de mieux, à savoir créer des controverses en tapant sur toutes les personnalités possibles et imaginables. Ainsi, plus d’une trentaine de célébrités en prennent pour leur grade tout au long de l’album : P. Diddy, Kanye West, Bill Cosby, Melle Mel, Ja Rule, R. Kelly, Amber Heard, Candace Owens, Will & Jada Pinkett Smith, Machine Gun Kelly, Lord Jamar, Caitlyn Jenner, Nicki Minaj, Megan Thee Stallion, DJ Paul, Keefe D, Seth Green, Kurt Cobain, Jack Kevorkian, Christopher Reeve, Alec Baldwin, David Carradine, Ben Affleck, Jimmy Iovine, Paul Rosenberg, Dr. Dre, Lizzo, Skylar Grey et Jelly Roll (qui sont d’ailleurs tous deux invités sur l’album), Eminem lui-même, sa mère Debbie Mathers et même ses propres enfants, Hallie, Alaina et Stevie.
Après tout ça, vous pensiez que le Death Note de Slim Shady s’arrêterait là ? Que nenni, puisqu’en plus de perpétrer des attaques ciblées sur des individus en particulier, le bougre va aller encore plus loin dans la provocation en n’hésitant pas une seconde à cracher son venin sur des groupes de minorités tout entiers : les personnes de petite taille, les personnes transgenres, les handicapés et personnes à mobilité réduite, les gens en surpoids, les personnes aveugles, malvoyantes, sourdes et malentendantes… Tout le monde y passe et ce coup-ci, on peut dire avec une pointe d’ironie que Slim Shady ne fait aucune discrimination. En digne ennemi du politiquement correct et de la bien-pensance, il ne rate pas non plus l’occasion de lâcher quelques balles pour la Gen Z, les « wokes » et autres « social justice warriors » qu’il ne porte évidemment pas dans son coeur noir et enflammé.
Eminem a beau faire tout ce qu’il peut pour faire taire et tenir tête à son bourreau, les attaques du démon aux cheveux blonds montent crescendo et face à ce torrent de haine, ce qui devait arriver arriva… Comme au bon vieux temps, l’Amérique entière pointe du doigt la toxicité d’Eminem, et ce dernier se retrouve malgré lui avec la casquette d’ennemi public numéro 1. Alors que le vilain savoure sa victoire, Marshall, dans un ultime mouvement de désespoir, abat ses dernières cartes au travers « Guilty Conscience 2 », une joute viscérale entre les deux acteurs de cette lutte acharnée qui se termine par la promesse initiale de l’album, à savoir la mort définitive de l’alter ego maléfique du rappeur. Quand soudain… DRIIIIIIING !
Snap back to reality…
Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?! Plot twist, tout ceci n’était finalement qu’un affreux cauchemar. Slim Shady étant la personnification de ses addictions, Eminem projetait simplement le fruit de ses angoisses à travers ses songes. Dans le monde réel, Marshall Mathers est sobre depuis plus de seize ans maintenant, son côté obscur est bel et bien mort (et avec lui tous les démons qu’il représente) et Eminem est encore aujourd’hui le rappeur numéro 1.
C’est en tout cas ce qu’il affirme et démontre fièrement dans des morceaux comme « Tobey » et « Head Honcho », respectivement en compagnie de ses homologues de Détroit Big Sean et BabyTron, puis Ez Mil, la dernière signature de son label Shady Records. Deux bangers aux allures de doigt d’honneur fièrement adressé à toutes celles et ceux qui ne cessent de clamer qu’Eminem est un piètre rappeur lorsqu’il n’officie pas sous le joug de Slim Shady. Une absurdité en somme, étant donné la finesse lyricale, la justesse toujours plus forte de ses jeux de mots, la complexité de ses rimes et les qualités techniques ahurissantes dont il fait preuve sur cet album.
Mais comme tout retour à la réalité, les sueurs froides du réveil après un cauchemar exacerbent souvent notre sensibilité et nos émotions les plus profondes. C’est ainsi qu’intervient « Temporary », un morceau bouleversant dans lequel Eminem, accompagné de son amie Skylar Grey, se confie sur sa peur de mourir sans avoir dit à sa fille Hallie tout ce qu’il pense d’elle. Une chanson assurément à classer parmi les plus tristes de la discographie du rappeur blanc puisqu’elle nous narre une dystopie dans laquelle le père de famille qu’il est, a quitté ce monde avant d’avoir pu faire ses adieux à ses enfants.
Ce titre, par ailleurs, fait directement écho à l’ultime morceau de l’album « Somebody Save Me ». Cette fois encore, le MC de Détroit nous dépeint une réalité alternative dans laquelle la drogue aurait finalement eu raison de lui suite à son overdose de 2007. Aux portes de la mort, il ouvre alors son cœur à Hallie, Alaina et Stevie et implore leur pardon pour ne pas avoir été un père à la hauteur de leurs espérances et d’avoir manqué de nombreuses étapes importantes de leur vie. Un final touchant et sublimé par le refrain de Jelly Roll, qui en dit long sur la culpabilité que porte encore aujourd’hui Eminem. Pourra-t-il un jour se pardonner d’avoir plongé dans l’enfer des addictions et par conséquent, donné naissance à ce bon vieux Slim Shady ?
S’il lui a bel et bien asséné le coup de grâce il y a longtemps, sa face sombre est-elle réellement morte ? Le doute est permis si l’on en croit cette théorie qui commence déjà à faire jaser les Stan’s du monde entier. Elle stipule qu’à l’instar de DAMN. de Kendrick Lamar, The Death of Slim Shady cacherait lui aussi une double lecture inversée. Comprenez par là qu’en écoutant l’album dans l’ordre, mais en commençant par la fin, le grand perdant de l’Histoire ne serait plus Slim Shady, mais Eminem lui-même… Tentez l’expérience et vous verrez que l’idée n’est pas si saugrenue. Et si c’était ça finalement, le fameux tour de magie ultime que nous tease le rappeur depuis l’annonce de son grand retour ? Si tel est le cas, Eminem aura prouvé qu’il mérite plus que jamais son surnom de « Magicien blanc du hip-hop », et Harry Houdini lui-même se prosternera dans sa tombe.
En attendant la sortie physique de l’album The Death of Slim Shady prévue pour septembre prochain, vous pouvez d’ores et déjà précommander les versions exclusives du projet sur le Dose Store : le vinyle crayon et la cassette rouge transparente en exclusivité D2C.