Dr. Dre et Snoop Dogg : récit d’une bromance légendaire
A l’aube de la sortie de leur album commun The Missionary, retour sur l’histoire et les plus grandes collaborations entre Dr. Dre et Snoop Dogg.
Ils sont les Bonnie & Clyde du gangsta rap : dans quelques jours maintenant, Dr. Dre et Snoop Dogg sortiront leur album commun, The Missionary, Quand bien même le pedigree de ces deux artistes aurait pu suffire à justifier la hype autour du projet, celle-ci est encore plus légitime du fait que cet opus s’est aussi donné la lourde tâche d’incarner symboliquement la suite de Doggystyle, le premier album de Snoop Doggy Dog, un immortel classique du rap US également produit par Dre. Cerise sur le gâteau donc, il signe bel et bien le retour de l’alliance musicale historique entre le rappeur de Long Beach et le superproducteur de Compton. Une bromance entamée il y a maintenant plus de 30 ans.
Quand on parle des bromances de Dr. Dre dans le rap, on pense souvent d’abord à Eminem. Quoi de plus normal après tout ? Le Doc a joué sa propre carrière sur la signature de ce rappeur blanc alors méconnu et tous les deux ont partagé le micro sur l’une des chansons les plus émouvantes de leur discographie commune. Pour autant, n’oublions pas que bien avant la mise en lumière de Slim Shady, Andre Young avait déjà du flair pour repérer les artistes les plus talentueux de leur époque. On a tendance à l’oublier tant le bougre est devenu une légende, mais Snoop Dogg est bel et bien le premier rappeur que Dre a pris sous son aile et exposé aux yeux du grand public. Le reste fait partie de l’Histoire.
Faux départ
On dit ça, mais l’histoire entre ces deux hommes aujourd’hui n’a pas forcément bien commencé. Jamais avares en anecdotes lorsqu’il s’agit d’évoquer leur parcours commun en interview, Dr. Dre et Snoop Dogg avaient en effet évoqué leur première rencontre dans le documentaire The Defiant Ones, produit par HBO et dispo depuis sur Netflix. Or, celle-ci aurait pu ne jamais avoir lieu puisque quand Andre Young de son vrai nom a tenté de contacter son homologue californien, ce dernier a d’abord pensé à un canular téléphonique : « J’ai raccroché. J’étais genre « Mec, ce n’est pas ce p**ain de Dr. Dre !, raconte-t-il. Mais heureusement, le mec a rappelé, et m’a juste dit : « sois au studio lundi ».
On ne sait cependant pas ce qui s’est passé précisément lors de cette première session studio, mais ce qui est sûr, c’est qu’à cette époque, Snoop n’était pas encore le rappeur plein de confiance qu’il est aujourd’hui. Le rap n’était à ce moment-là qu’un simple passe-temps pour lui alors qu’il passait encore la plupart de ses journées à dealer dans la rue. L’Histoire ne précise cependant pas si les deux se sont rencontrés à l’occasion d’une « transaction » en bas d’un bloc, mais finalement, Warren G, rappeur déjà bien en place sur la côte ouest et accessoirement le demi-frère de Dre a donné un petit coup de pouce au destin. C’est effectivement lui qui fera écouter pour la première fois un son de Snoop au producteur, en passant l’une de ses démos lors d’une soirée. Il n’en fallut pas plus à Dre pour être sûr de son talent et déclarer : « C’est Snoop ? mec, c’est un p**ain de diamant brut, on doit le polir ! ».
Mais même en étant le coup de coeur du docteur, rien n’était encore gagné pour le rappeur canidé. En effet, lors d’une autre interview, Snoop Dogg confirmera avoir refusé l’opportunité de rapper sur l’instrumentale de la démo du titre d’Eazy-E, « Eazy-Duz-It », en 1988 : « Dre est arrivé, c’était à Thanksgiving, et Warren G me rendait nerveux, parce qu’il n’arrêtait pas de dire à Dre : « Snoopy sait rapper. » De mon côté, j’étais genre : « Mec, ferme-là, je ne suis pas encore prêt. » Sauf que Dre s’en foutait : il m’a emmené dans la pièce du fond, et il a commencé à jouer le morceau : « He once was a thug from around the way », avant même que ce soit sorti. Il se tourne alors vers moi et me demande : « Tu rappes ? », et moi qu’est-ce que je réponds ? « Nan, je ne rappe pas ! ».C’était mon moment, et j’ai buggé. La vérité, c’est que je n’étais pas prêt ».
Motherf*ckin’ gangsta sh*t
Mais heureusement, comme les choses sont bien faites, ce qui devait arriver arriva. Nous sommes en 1992 et les deux artistes partagent le micro sur leur toute première collab, « Deep Cover », morceau original issu de la BO du film du même nom. Quelques mois plus tard, plus précisément le 15 décembre 1992, il jouira d’une place de choix sur le premier album solo de Dr. Dre, The Chronic, en apparaissant sur pas moins de 11 des 16 morceaux du projet. On parle quand même de titre comme « Let Me Ride », « Nuthin’ but a ‘G’ Thang », « Fuck wit Dre Day (and Everybody’s Celebratin’) », « Rat-Tat-Tat-Tat » ou encore « The Day the Nig*az Took Over »…. Si ça ce n’est pas un signe que Dre croit vraiment en lui.
Propulsé au rang de superstar du jour au lendemain par son mentor, Snoop rejoindra donc tout naturellementDeathRow Records, le label d’Andre Young et SugeKnight (qu’il finira par racheter lui-même le 9 février 2022). C’est donc via cette écurie de marque qu’il sortira un peu moins d’un an plus tard, le 23 novembre 1993, son premier album, le classique Doggystyle.
A cette date, Snoop est déjà sous le feu des projecteurs et dans le coeur du public. Rien d’étonnant alors que son disque soit devenu le premier album de rap de l’histoire à démarrer à la première place du Billboard 200. Plus encore, il est resté au sommet des charts pendant trois semaines et s’est également classé numéro un du classement des albums R&B/Hip-Hop de l’époque. Vendu à 803 000 exemplaires écoulés en première semaine. Signe d’un succès stratosphérique, l’opus est certifié quadruple disque de platine par la Recording Industry Association of America (RIAA moins de douze mois plus tard, le
Snoop a beau en être au tout début de sa carrière, l’alchimie entre les deux artistes est déjà tout simplement intestable. Avec son flow à la fois nonchalant et harmonieux inspiré de Slick Rick, son attitude désinvolte as f*ck et ses lyrics sulfureuses dignes des plus grands macs de Los Angeles, Snoop va tout bonnement révolutionner le rap de cette époque en trouvant la formule magique qui donnera ses lettres de noblesses au g-funk de la côte ouest américaine. Ajoutez à son rap la science musicale d’un Dr. Dre en pleine ascension et vous comprendrez pourquoi Doggystyle est devenu un classique instantané.
Se séparer pour mieux se retrouver
La magie a beau magnifiquement opérer entre les deux artistes, il faudra attendre le troisième album de Snoop, No Limit Top Dogg, sorti en 1999, pour les voir retravailler ensemble. Il faut dire qu’entre temps, 2Pac a été assassiné et que Suge Knight règne d’une main de faire sur le label en appliquant une politique de gangster ultra-violente et des méthodes de management peu recommandables. Craignant pour sa vie, Dr. Dre quitte Death Row une fois libéré de son contrat par la force et la menace pour fonder son propre label Aftermath Entertainment en 1996.
Snoop Dogg lui emboîtera le pas en mars 1998 pour rejoindre le label No Limit de Master P alors que Death Row s’enfonçait encore plus dans la violence, précipitant son déclin. « C’était des soldats, pour de vrai. Organisés. Structurés. Ces n***** ne jouaient pas, et P ne blaguait pas dès qu’il était question de son business », confiait Snoop Dogg en entretien des années plus tard.
Heureusement pour lui, il s’en est sorti, Dre aussi et c’est ainsi que les deux amis ont pis remettre le couvert ensemble en 1999 sur le morceau « Just Dippin », tandis que sur l’album No Limit Top Dogg, Dre a également produit les morceaux « »Buck ‘Em » et « B*tch Please ». Ses retrouvailles auront leur importance puisqu’en plus de signer « B*tch Please II » pour Eminem la même année, c’est à ce moment qu’ils cuisineront leurs plus gros classiques, « Still DRE » et « The Next Episode », issu de l’album 2001 de Dre, considéré par beaucoup comme le plus grand album rap de tous les temps. Et puisqu’on en parle, ils ont évidemment partagé la scène ensemble lors de la mythique tournée promotionnelle de cet album The Up in Smoke Tour.
Les années passent et alors que Snoop poursuit sa carrière avec un appétit insatiable, Dre quant à lui se met de plus en plus en retrait, connaît des problèmes personnels et travaille pendant d’une dizaine d’années sans trop y croire sur Detox, la plus grosse arlésienne de l’histoire du rap US. Heureusement entre 1999 et 2015, date de sortie l’album suivant de Dr. Dre, non pas Detox, mais Compton, les deux artistes ont tout de même continué à travailler ensemble.
Outre le savoir-faire du docteur à la production de plusieurs titres sur ses albums The Last Meal (2000) et Tha Blue Carpet Treatment (2006), et au mix de son album de 2009, Malice n Wonderland, les deux hommes ont tout de même signé quelques collabs au micro çà et là. « Imagine » avec le chanteur R&B D’Angelo en 2006, « The Next Episode 2006 » la même année avec Nate Dogg & Mellow Won, « Flashing » avec Bishop Lamont en 2010 et enfin « Kush » avec Sly toujours en 2010. Ce dernier titre était d’ailleurs à l’origine marketé comme étant le premier single promotionnel du futur et mort-né Detox.
Quatre sons, dont deux jamais officiellement sortis, on vous l’accorde, c’est assez peu, mais heureusement, lorsque Dre livrera enfin son troisième album Compton, Snoop sera évidemment de la partie. On retrouve en effet le duo sur le morceau funky à souhait, « Satisfiction » avec Marsha Ambrosius, tandis que Snoop surfe sur le détonnant « One Shot, One Kill » en compagnie de Jon Connor. Depuis, si ce n’est, « ETA », un titre partagé ensemble aux côtés de Busta Rhymes et Anderson .Paak à l’occasion du DLC « The Contract » de GTA V mettant en vedette Dr. Dre, on a beau chercher dans la riche et variée discographie du rappeur le plus fumé du game, il n’existe plus de collaboration musicale de quelque sorte que ce soit entre les deux artistes.
Du studio à la scène
Quand bien même leurs chemins en studio se sont pendant longtemps séparés, nos deux BFF sont toujours restés très liés et ont toujours fait en sorte de cultiver la flamme de leur alliance sur scène. C’est ainsi qu’en 2022, ils ont partagé la scène de la mi-temps du SuperBowl le temps d’un show légendaire avec Eminem, 50 Cent, Kendrick Lamar et Mary J. Blige. Afin de plus que jamais mettre le rap à l’honneur, les deux bros ont évidemment interprété leurs plus grands classiques : « Still Dre » et « The Next Episode ».
Toujours derrière son mentor, Snoop avait d’ailleurs expliqué en marge de cette performance que Dre ne souhaitait initialement pas la faire. Pour le podcast « Drink Champs » avec N.O.R.E et DJ EFN, il expliquait : « Ce que les gens ne comprennent pas, c’est qu’il n’a rien pris qui ne soit issu des catalogues Ruthless, Death Row, du catalogue de Snoop Dogg. Il n’avait que 12 minutes. Que pouvez-vous faire en 12 minutes afin de contenter tout le monde ? Vous allez forcément passer à côté de quelque chose, où était Ice Cube par exemple ? […] Dr. Dre m’a appelé pour me dire : ‘Ils veulent que je fasse le Super Bowl, je ne sais pas si j’en ai envie.’ Ce que vous devez savoir, c’est que Dr. Dre est quelqu’un qui vit dans l’instant. S’il ne sent pas qu’il a un titre qui va être opportun pour le moment présent, il va se dire qu’il ne sert à rien d’y aller. »
Heureusement cette fois encore, l’événement a eu lieu et a tenu toutes ses promesses. Concernant Dr. Dre, celui qui a également reçu son étoile sur le Hollywood Walk of Fame (Snoop Dogg était évidemment présent lors de la cérémonie, il semble aujourd’hui plus que jamais apaisé. Pour preuve, il a de nouveau accompagné Snoop sur scène lors de sa plus récente performance à Los Angeles dans le cadre de la cérémonie de clôture des JO de Paris 2024 et le passage de flambeau. Sur scène, la star des JO a interprété son tube « Drop It Like It’s Hot », et de nouveau l’incontournable « The Next Episode » avec le docteur.
A la suite de cette prestation, ce dernier s’était d’ailleurs exprimé au micro du média ET. Mais avant d’évoquer la performance en elle-même, il est d’abord revenu sur sa relation avec Snoop Dogg, tout en évoquant leur alchimie artistique. « Je suis le capitaine quand on est en studio, mais quand on est sur scène, c’est Snoop la star », avait-il déclaré en toute humilité.
Après quoi, il est spécifiquement revenu sur le plaisir qu’il éprouvait à faire de la magie sur scène avec son compère : « La synergie que nous avons et Snoop est vraiment intéressant. Interpréter ce morceau aujourd’hui [« The Next Episode »], c’est beaucoup plus fun. Nous étions des enfants à cette époque, mais j’ai l’impression que cela reste une des meilleures musiques que j’ai faite dans ma carrière ».
The Next Episode
Ces mots sont forts, mais ils témoignent avant tout de l’amitié et du respect mutuel que se vouent les deux artistes. Snoop lui aussi n’a d’ailleurs jamais manqué d’éloge pour parler de son mentor, ou plutôt même, son grand frère. « Dr. Dre a toujours été comme un grand frère, un mentor pour moi. Il m’a appris le professionnalisme, que cela soit pour me séparer du quartier ou pour me lancer dans une entreprise », a-t-il déclaré dans une interview donnée à Capital XTRA en février 2024 à l’occasion du lancement de leur gamme de boissons « Gin & Juice ». « Il m’a appris à regarder vers l’avant sans vraiment prêter attention à ce qui se passe derrière moi. Son attitude et son esprit lui font dire : ‘Je me fiche de ce que j’ai fait, tout ce qui compte, c’est ce que je suis sur le point de faire’. C’est un bon état d’esprit que j’ai hérité de lui. Je ne sais même pas combien d’albums j’ai fait depuis que j’ai commencé, mais il s’agit toujours de savoir ce qui va suivre, ce qui est le mieux. […] Vraiment, il est comme un grand frère, un protecteur. J’adore être avec lui en studio et dans la vraie vie. »
Ultime témoignage de leurs 30 ans d’amitié indéfectible, plus tôt cette année, lorsque Dr. Dre était célébré à Hollywood pour recevoir son étoile sur le Walk of Fame, Snoop ne l’a pas honoré avec un long discours pompeux et convenu, mais par une prise de parole teintée d’humour et des pas danse spontanés et pour le moins loufoque. En plus d’être totalement à son image, cette façon de faire témoigne surtout de la joie sincère qu’il a ressentie en voyant son ami consacré au Panthéon des plus grandes figures culturelles de tous les temps.
A son tour, Andre Young n’a pas caché son émotion de voir Snoop Dogg reprendre son flambeau chez Death Row, après l’incarcération de leur ancien collaborateur et tyran Suge Knight. Interviewé sur Drink Champs au ComplexCon de Las Vegas il y a quelques jours, le producteur avait déclaré : « Au début, j’étais inquiet. Il y avait tellement de bagages associés à Death Row », a confié Dre. Cependant, en voyant le travail accompli par Snoop, il a changé de perspective. « Il a pris ce que nous avons créé et lui a redonné vie. Je vois désormais sa vision et j’en suis fier ».
Sans doute est-ce parce que leur relation est si spéciale que les deux artistes ont finalement choisi de clôturer l’année avec un album commun. Un projet nommé Missionary qui selon les mots de Dr. Dre en personne, promet de « célébrer tout ce que nous avons construit et pour inspirer la nouvelle génération ». Le discours d’intention est posé et ce disque a déjà tout pour devenir une pièce majeure de l’histoire du hip-hop. Après tout, ne nous ont-ils pas maintes fois prouvés par le passé que les plus belles oeuvres naissaient des plus belles amitiés ? J’espère donc que vous êtes prêts à sacourer ce trésor rapologique, car comme dirait Dr. Dre : « Comin’ real, it’s the next episode ».